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SPIRITUALITE : Madame FRAYA

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Madame Fraya Une pythie à la belle époque

« La fatalité dépose dans nos mains, à la naissance, le secret de ses énigmatiques desseins. Et, fidèles à leurs rôles d’intercesseurs prémonitoires, elles nous révèlent infailliblement – par des physionomies expressives et

changeantes – les phases successives de notre destinée. » (Valentine Dencausse, alias Madame Fraya)

De nos jours, il n’est pas rare que les services de police fassent appel à un(e) voyant(e) pour résoudre des affaires criminelles. Ces pratiques, généralement inavouées, ont inspiré aux scénaristes de nombreux films, ainsi que des séries à succès dont la plus récente – Medium – retrace l’histoire vécue par Allison Dubois (une mère de famille américaine ayant découvert ses dons parapsychiques dès l’âge de 6 ans, le jour où son défunt grand-père lui est apparu pour délivrer un ultime message à ses proches). Mais dans les premières années du XXe siècle, et malgré l’engouement des milieux intellectuels pour le spiritisme, ce genre de chose aurait pu sembler complètement impensable à l’époque du matérialisme triomphant. Pourtant, c’est au tout début de la Première Guerre Mondiale que les représentants du ministère de la Guerre prirent l’incroyable décision de convoquer une voyante au beau milieu de la nuit. Il est vrai qu’il ne s’agissait pas de n’importe quelle voyante, puisque Madame Fraya (de son vrai nom Valentine Dencausse) avait déjà acquis une telle réputation dans le milieu parisien que nul ne pouvait douter de la justesse de ses prédictions. Pas même les ministres présents qui, après avoir appris que la première armée allemande était arrivée jusqu’à Compiègne, demandèrent fébrilement à l’extralucide : « Pensez-vous que les Allemands vont entrer dans Paris ? » Lesquels se virent répondre, à leur grand soulagement : « Non, les Allemands n’entreront pas dans Paris. Leur victoire va tomber à l’eau… Aux environs du 10 septembre, ils seront obligés de se retrancher sur l’Aisne… Ce sera l’écroulement de leur plan de campagne rapide… » S’étonnant des propos de Madame Fraya, Alexandre Millerand (ministre de la guerre et futur président de la république) voulut savoir ce qui lui permettait de se montrer aussi optimiste. Ce à quoi la voyante répondit que, la nuit précédente, elle avait fait un rêve dans lequel elle avait vu les Allemands battre en retraite, en même temps que la date du 10 septembre s’imposait fortement à elle. Quelques jours plus tard, les événements devaient donner entièrement raison à Madame Fraya, et nul ne saura jamais jusqu’à quel point son intervention a pu influer sur les décisions de l’état-major français… Malgré le caractère hautement « confidentiel » de la venue de Madame Fraya au ministère de la Guerre, le secret de cette entrevue a fini par s’ébruiter, ce qui ne fit que renforcer le prestige de la voyante devant jouir d’une renommée sans pareille dans les années 20. Alors, comment se fait-il que son nom ait été pratiquement oublié de tous ? Madame Fraya avait elle-même prédit qu’il y aurait peu de gens à son enterrement, car la plupart de ses clients – surtout les plus célèbres d’entre eux – ne tenaient pas à ce que l’on sache qu’ils avaient eu recours à une voyante. Elle se désolait aussi de l’avenir qu’elle entrevoyait pour le monde qu’elle allait quitter, non sans avoir annoncé que dans le futur, les manifestations de l’Invisible seraient enfin reconnues de tous. Mais les personnes qui eurent la chance de côtoyer Madame Fraya n’ont pas eu à attendre ce temps-là pour voir leurs existences bouleversées par l’inexplicable.

C’est dans la petite commune landaise de Villeneuve-de-Marsan que naquit Valentine Dencausse, le 21 mai 1871. Et jusqu’à ses dix-huit ans, rien ne laissait présager qu’elle serait dotée d’un don hors du commun. Rien, excepté peut-être la curieuse faculté de son père (un haut fonctionnaire travaillant pour le ministère des Finances) qui, par moments, faisait preuve d’un véritable talent de visionnaire. Sa voyance, toutefois, se limitait aux événements qui le concernaient personnellement. Ainsi, il connaissait parfaitement le jour et l’heure de sa mort pour avoir annoncé longtemps auparavant : « Je mourrai avant l’hiver, un 1er novembre, à minuit, vers ma soixante-quinzième année, sans souffrance ni agonie. Je garderai ma lucidité jusqu’au bout. » La date fatidique approchant, on appela un médecin pour vérifier que la légère bronchite dont souffrait M. Dencausse n’avait rien de mortelle. Puis, contre toute attente, son état s’aggrava dans les jours qui suivirent. Enfin, quand arriva le soir du 1er novembre, M. Dencausse demanda l’heure à sa femme, laquelle lui mentit pour lui faire croire qu’il était deux heures du matin. Seulement, elle ne réussit pas à le tromper (il était en réalité 23h30) et, lorsque la pendule sonna les douze coups de minuit, il mourut comme il l’avait prédit. En revanche, la prescience de M. Dencausse ne l’empêcha pas de vouloir marier sa fille à un homme dont le caractère jaloux et colérique ne devait se révéler qu’au moment de leur voyage de noces. Bien qu’il fût assez âgé pour être son père, Louis Erembert Delmas, professeur agrégé de grammaire, réussit à convaincre la jeune Valentine de l’épouser (à la seule satisfaction de M. Dencausse qui, contrairement à son épouse, voyait en lui le gendre idéal). Mais ce « mariage de déraison » – ainsi que le qualifiera plus tard Madame Fraya – n’allait pas durer plus de cinq jours… Curieusement, c’est au cours de cette triste expérience maritale que va se révéler le don de Valentine. Son « jeune » mari l’ayant laissée seule dans la chambre d’hôtel, après qu’elle ait eu le courage de lui avouer que leur mariage était une erreur, Valentine expérimenta sa toute première vision, ainsi qu’elle le raconta à la journaliste Simone de Tervagne : « Bien éveillée, allongée sur le lit, en plein jour, je vis, soudain, des centaines de mains qui se tendaient vers moi. Des mains d’hommes, de femmes. Surtout de femmes, fines et longues, aux doigts chargés de bagues étincelantes. Il en surgissait de toutes parts. Je les voyais avec une telle netteté qu’il me semblait qu’elles allaient me toucher. Puis, je me suis vue assise dans un salon assez sombre, aux murs ornés de miroirs et je lisais dans les mains de mes consultants. A côté de moi, sur une commode, une petite lampe était allumée. Je me trouvais à Paris, j’étais sûre que cela se passait à Paris et que ce serait là où j’irais vivre… » Quand la vision cessa, Valentine trouva la force de quitter l’hôtel sans attendre le retour de son époux. Ensuite, elle prit le chemin de la gare pour revenir au domicile de ses parents (situé à Soumoulou dans le Béarn) où son père, nullement surpris de la revoir, l’accueillit avec ces mots: «Je «savais», figure-toi, que ton retour était imminent… Depuis hier soir, je n’ai cessé de te « voir » dans le compartiment du chemin de fer… Et je t’y voyais seule, sans ton mari… » Mais ce mariage éclair allait avoir une conséquence aussi fâcheuse qu’inattendue, puisque Valentine se retrouva bientôt enceinte d’une enfant qui sera plus tard la cause de tous ses malheurs.

Pour accomplir ce destin qui s’était révélé à elle, autant que pour éviter de trop penser à sa grossesse involontaire, Valentine se mit à dévorer les livres sur la chirologie ou l’art d’interpréter les formes et les lignes de la main. Elle lut, naturellement, les ouvrages du peintre Adolphe Desbarolles (connu pour être la plus grande référence en la matière) sans parvenir à y trouver ce qu’elle cherchait. Valentine décida donc de faire ses propres expériences auprès des gens de sa région et, très vite, elle s’aperçut qu’elle arrivait à « déchiffrer le mystère des âmes et juger du degré de leur évolution ». En réalité, l’étude des mains ou de leur écriture – la graphologie étant aussi révélatrice à ses yeux – servait surtout de « déclencheur » à ses visions qui, par leur étendue, lui permettaient de surpasser les capacités de n’importe quelle chiromancienne. Les images qu’elle voyait pouvaient appartenir aussi

bien au passé qu’à l’avenir, mais celles-ci semblaient parfois si improbables que les consultant(e)s refusaient de les prendre au sérieux. Ce fut le cas de la reine Nathalie de Serbie quand, ayant invité la jeune voyante à passer une semaine dans sa somptueuse villa située près de Biarritz, elle pria Valentine de lire dans ses mains. Contrainte à l’exil depuis sa séparation avec son royal époux (le roi Milan Ier), la reine déchue brûlait d’envie de connaître son avenir. Un avenir que Valentine lui dévoila à contre-cœur : « Je fus extrêmement émue en examinant ses mains, car la mort violente de son fils et de sa belle-fille y était inscrite… Angoissée, je n’osais parler… Mais la reine insista d’une manière si pressante que, contre mon gré, je finis par lui dire la vérité… A ma grande surprise, elle ne partagea pas mon bouleversement. D’une voix très sereine, elle me répondit qu’elle ne croyait pas qu’une telle éventualité fût possible, que je me trompais certainement… » Valentine n’étant pas encore madame Fraya que le Tout-Paris venait consulter, la reine Nathalie était en droit de douter de l’infaillibilité de ses prédictions. Jusqu’à ce que l’assassinat de son fils et de sa belle-fille (le roi Alexandre Ier et la reine Draga) se produise dix ans plus tard, le 11 juin 1903, dans des conditions tellement épouvantables que l’on comprend aisément le violent émoi qui saisit la pauvre Valentine en regardant les mains de son hôtesse. Une émotion qui n’allait pas la quitter pendant plusieurs jours, et qu’elle aura l’occasion de ressentir bien des fois au cours de sa vie, notamment en étudiant les mains des hommes destinés à mourir pendant la guerre de 14-18. Lorsque Valentine regagna la capitale où elle avait décidé de séjourner après avoir confié sa fille Marcelle (née le 25 mars 1890) à la garde de ses parents, la chiromancienne de la reine de Serbie – comme on se plaisait à l’appeler depuis son retour de Biarritz – fit alors la connaissance de la journaliste Caroline Rémy qui jouissait d’une immense popularité dans les milieux parisiens. Cette dernière, connue et appréciée pour son dévouement envers les plus déshérités, dut user de toute sa persuasion pour convaincre Valentine de devenir la principale attraction d’une kermesse de bienfaisance se déroulant au Jockey-Club. Et afin d’éviter que le nom de Dencausse ne soit publié dans la presse, la journaliste aura la brillante idée de la présenter sous le pseudonyme de Fraya, en hommage à la déesse germanique que l’on célébrait pour sa beauté et ses pouvoirs de magicienne. Voilà comment naquit Madame Fraya dont la clairvoyance allait faire sensation pendant la kermesse qui attira de nombreuses personnalités. A partir de ce jour, la vie de Valentine bascula… La nouvelle d’une voyante surpassant la célèbre Madame de Thèbes se répandit d’un bout à l’autre de la ville et, bientôt, le nom de « Fraya » fut sur toutes les lèvres. Avec toujours la même question : où donnait-elle ses consultations ? L’ennui, c’est qu’elle ne disposait d’aucun endroit privé pour exercer son art, puisqu’elle logeait chez des amis de son père. Un problème que Caroline Rémy s’empressa de résoudre en lui trouvant, rue de Berne, un petit appartement que l’on avait accepté de lui prêter momentanément. Mais un « trois-pièces » ne permettait pas à Valentine de recevoir ses parents lorsqu’ils viendraient lui rendre visite, et la provinciale se mit bientôt à la recherche d’un appartement plus grand, finissant par le dénicher au rez-de- chaussée d’un immeuble situé au 11 bis rue d’Edimbourg. C’est à partir de là que, entourée des meubles précieux hérités de ses grands-parents (parmi lesquels se trouvait la table ayant servi à signer le traité de Bayonne entre Napoléon et le roi Ferdinand VII), Madame Fraya débuta sa longue et prodigieuse carrière, ébahie de se retrouver dans le même décor qu’elle avait vu – au lendemain de sa nuit noces – bien des années auparavant.

Les premiers clients qui vinrent la consulter rue d’Edimbourg ne correspondaient pas vraiment aux personnes qu’elle s’attendait à recevoir. Il s’agissait d’un groupe de jeunes hommes, très distingués, mais dont le comportement tapageur avait de quoi impressionner – pour ne pas dire effrayer ! – une femme aussi sensible que Valentine. D’autre part, leur condition de grands-ducs de Russie semblait les mettre à l’abri du moindre revers de fortune et, de toute évidence, ils n’étaient venus la voir que pour « mettre à l’épreuve » ses prétendues

capacités. Mais au moment où le prince G. se vanta de dépenser sans compter pour le seul plaisir de s’amuser, de funestes visions assaillirent la voyante qui nous laissa ce témoignage : « Je vis d’atroces images… des carnages, des émeutes, de belles demeures en flammes et des gens qui fuyaient… et je leur dis, à tous : « Cessez de dilapider vos fortunes ! La corruption de l’aristocratie russe va conduire votre pays au désastre… Un jour, vous serez dépouillés de tous vos biens. » Ma prédiction fut accueillie par un immense éclat de rire. L’un des grands-ducs, plus pondéré que les autres, tenta cependant de me démontrer que mes propos étaient absurdes. Ils possédaient tous une fortune, presque incalculable, constituée surtout de propriétés, de forêts, de terres dont la superficie dépassait celle de la France… Tout cela ne pouvait se volatiliser, s’évanouir en poussière. Au contraire, rien au monde n’était plus solide ni plus stable. Je ne l’écoutais plus. A nouveau, je m’adressai au prince G…, et lui dis : « Vous qui donnez un piano de grande valeur en guise de pourboire, écoutez bien ceci : « Un jour viendra où vous serez dans le dénuement le plus complet… Je vous vois même lavant la vaisselle dans un restaurant. » Les rires fusèrent de plus belle… « Vos révélations nous amusent prodigieusement, me dirent-ils. C’est absolument délirant. Vous êtes complètement folle ! » Là-dessus, ils me quittèrent, non sans que le grand-duc Nicolas Nicolaïevitch eût déposé – assez discrètement, je dois le dire – une poignée de pièces d’or sur le secrétaire de Mme Tallien… Dans la rue, j’entendis longtemps leurs éclats de rire et les réflexions qu’ils se lançaient, en russe cette fois. Sans comprendre un seul mot de leur langue, je savais bien qu’ils ne cessaient de plaisanter à mon sujet… » Ce n’est que vingt ans plus tard que Valentine recevra la confirmation de ses visions, lorsque quelques-uns de ces grands-ducs reviendront rue d’Edimbourg pour lui raconter comment ils s’étaient retrouvés complètement désargentés. Quant au prince G. dont les vantardises avaient déclenché sa voyance, Valentine eut la surprise de le recroiser à Nice, alors qu’elle dînait avec une amie dans un restaurant russe où le grand-duc travaillait comme… plongeur ! Le scepticisme de ses consultants ne l’ayant jamais fait renoncer à accomplir sa destinée, Valentine repartit au pays basque, durant le mois d’août 1902, pour répondre à une nouvelle invitation de la reine Nathalie. Seulement, cette fois, c’est en tant que Madame Fraya qu’elle participa à la fête de charité donnée dans les jardins du palais de Sachino. En tant que voisin et ami de la reine, Julien Viaud – plus connu sous son pseudonyme de Pierre Loti – ne pouvait manquer d’être présent à cette fête, ni rater l’occasion de montrer ses mains à la femme qui était devenue la coqueluche des parisiens. Officier de marine et membre de l’Académie française, Loti n’était pas le genre d’homme à se laisser « bluffer » par une chiromancienne. Mais sa rencontre avec Madame Fraya le stupéfia ! Tant et si bien que, sitôt revenu à Paris, l’écrivain s’empressa de rédiger un article qui fit grand bruit lorsqu’il parut dans Le Figaro sous le titre : « Une chiromancienne chez une reine en exil ». Plus tard, quand le journaliste Julien de Narfon (travaillant pour le Gaulois) vint le questionner sur les raisons qui l’avaient poussé à écrire un tel article, l’académicien répondit avec la plus grande sincérité : « Jusqu’à samedi, je pensais que la chiromancie n’était que blague, fumisterie, charlatanisme. C’est ce jour-là que Madame Fraya, qui tenait, comme vous le savez, le « pavillon de la bonne aventure » à la fête de Sachino, a lu dans ma main. C’était la première fois que je me prêtais à une étude de ce genre, et avec un scepticisme absolu, je vous l’assure, bien que mon amie, Mme Juliette Adam, m’eût dit de ma chiromancienne énormément de bien. Or, Madame Fraya m’a raconté des choses extraordinaires, renversantes, avec un luxe de précisions et de détails qui m’a fortement impressionné et troublé. Malheureusement, ces choses font partie de ma vie intime et il m’est vraiment impossible d’en parler. Il y en a toutefois une que je ne vois pas d’inconvénient à vous révéler. Sachez donc que, pendant mon voyage en Perse, je fus attaqué par des brigands qui me laissèrent presque pour mort. Je n’ai jamais parlé en France de cette aventure que Madame Fraya ne pouvait pas

connaître. Elle m’en a fait, pourtant, le récit très exact, avec les circonstances de temps et de lieu. Cela ne tient-il pas du prodige ? »

Durant le reste de sa vie, Pierre Loti ne cessera de manifester pour Madame Fraya un immense respect, et une profonde amitié qui le poussera à lui offrir le plus précieux talisman qu’il avait rapporté de ses voyages : le collier de la Déesse des Faveurs provenant d’un temple de l’Inde. Ce collier, composé de quarante grains d’ambre et de petites turquoises, ne possédait guère de valeur d’un point de vue monétaire. Mais aux yeux de Madame Fraya, il n’avait pas de prix… Car, selon une légende recueillie par Loti auprès d’un brahmane, celui-ci était un très vieux rosaire (fabriqué au Tibet plusieurs siècles avant J.-C.) que de grands initiés avaient « chargé » d’ondes bénéfiques pour en faire un objet au magnétisme incomparable, digne d’être offert à la déesse vénérée de Bénarès. Et qu’il ait été ou non subtilisé dans le temple de la déesse n’aurait nullement altéré son efficacité, comme le laisse entendre cet aveu de Madame Fraya peu de temps avant sa mort : « J’ai pu, maintes fois, constater son surprenant pouvoir. Je le « sens » chargé de radiations éminemment bénéfiques. Plusieurs radiesthésistes, venus l’examiner, sont de mon avis. Une force surnaturelle s’en dégage. Des fluides précieux sont condensés dans chaque grain. Si l’on est très réceptif, rien qu’en le regardant, sans même les toucher, les radiations bienfaisantes agissent à votre insu… » Rien d’étonnant, alors, à ce que la voyante veillât toujours à garder auprès d’elle ce collier dont elle ne se serait jamais séparé de son vivant. Sa fille Marcelle, en revanche, n’éprouva aucun état d’âme à s’en séparer, puisqu’elle le mit aux enchères avec beaucoup d’autres biens ayant appartenu à Madame Fraya. Alertée par une amie, Simone de Tervagne se rendit immédiatement à la salle Drouot où la vente s’apprêtait à commencer. Découvrant le collier sur un plateau recouvert d’objets en tous genres, parmi lesquels se trouvait aussi la loupe de nacre offerte par la reine de Serbie, Simone eut un véritable haut le cœur. Puis, en son for intérieur, elle implora le ciel : « Si Madame Fraya dispose d’un pouvoir dans l’Invisible, qu’elle m’aide à l’acquérir ! » Ne disposant pas d’importants moyens, elle craignait par dessus tout de ne pouvoir remporter l’enchère. Mais grâce à l’intervention d’un brocanteur qui devait estimer que ce collier n’était rien d’autre qu’une breloque sans intérêt, Simone réussit à l’acheter pour une somme dérisoire. C’est de cette façon que le collier de Loti échappa à l’odieuse liquidation pour atterrir entre les mains de celle qui était devenue la fille « spirituelle » de Madame Fraya. Notons, enfin, une coïncidence pour le moins curieuse. D’après certains récits de la mythologie nordique, la déesse Fraya (Freyja ou Frija suivant les différentes orthographes) possédait un bijou fabuleux, le collier des Brísingar, qui était la source de toute sa magie. Dérobé par le maléfique Loki, Fraya fera tout pour le retrouver, parcourant le monde sur son char à la poursuite du voleur. Finalement, avec l’aide du fidèle Heimdall (le gardien du pont Bifröst conduisant à Ásgard, la demeure des dieux) venu lui prêter main forte, la déesse récupérera son collier en souvenir duquel on allumait des feux au solstice d’été, chacun d’eux étant censé représenter une pierre du collier qui était essentiellement composé d’ambre… Tout comme celui qui devait devenir le fétiche de Madame Fraya !

Les mystérieux rouages de la providence ne pouvaient manquer de s’actionner pour lier, d’une manière ou d’une autre, le destin de Valentine Dencausse à celui du Dr Gérard Encausse (son quasi-homonyme) devenu l’une des plus grandes figures de l’occultisme sous le pseudonyme de Papus. Fondateur de l’Ordre Martiniste et disciple inconditionnel du célèbre Maître Philippe de Lyon, Papus fut également un remarquable médecin qui mena une lutte sans relâche contre les erreurs du scientisme. Ses qualités humaines n’avaient d’égale que son intelligence hors du commun, et c’est toujours avec beaucoup d’émotion que Madame Fraya évoquait le souvenir de cet homme exceptionnel : « J’ai eu la chance, au

début de ma carrière parisienne, de me lier d’amitié avec un être extraordinaire qui m’a guidée, m’a donné de précieux conseils, alors que ma grande jeunesse, mon manque d’expérience ne me permettaient pas encore de faire preuve, à l’égard de mes consultants, de toute l’autorité nécessaire. En d’innombrables occasions, dans des moments particulièrement dramatiques, il m’a tirée d’affaire, de façon parfois miraculeuse… Parmi tous les occultistes célèbres que j’ai connus, le docteur Papus a surtout provoqué mon admiration pour sa grandeur d’âme d’abord et pour ses dons prophétiques qui étaient infaillibles. Il faisait énormément de bien autour de lui et était vénéré comme un saint. D’une grande érudition, il parlait couramment huit langues dont le russe, l’hébreu, le grec et le sanskrit. » Ses compétences – dépassant de beaucoup le cadre de la médecine traditionnelle – permettaient à Papus d’obtenir des guérisons inespérées, et sa réputation s’étendait bien au-delà des frontières de la France. Mais par son acharnement à combattre le Mal sous toutes ses formes, il aurait également réussi à s’attirer de redoutables ennemis… Madame Fraya se souvint, en particulier, du jour où il lui demanda de l’accompagner à une soirée privée pour assister au spectacle donné par une « danseuse hindoue ». En réalité, Papus tenait à avoir son avis sur cette personne à propos de laquelle il avait eu le plus effroyable des pressentiments, un indescriptible malaise l’ayant saisi à la vue de son portrait (réalisé par le peintre Guillonnet) qui lui avait arraché ces paroles prophétiques : « Cette femme est un monstre, une sorte de démon. Elle provoquera des catastrophes, des deuils, des suicides, pis encore… Elle fera parler beaucoup d’elle, vous verrez… » L’intuitif Papus dut faire appel à ses nombreuses relations pour découvrir le lieu de ses exhibitions, et obtenir une invitation pour y assister aux côtés de Madame Fraya qui ressentit la même impression de malaise, surtout quand la « créature » acheva son spectacle par un nu intégral ! Et, une fois encore, les craintes de la voyante se révèleront parfaitement fondées, puisque la danseuse en question n’était autre que… Mata Hari. Fusillée le 15 octobre 1917 pour espionnage, Mata Hari aurait doublement mérité sa peine en commettant un crime totalement ignoré des livres d’histoire. Car, un peu plus d’un an auparavant, Papus avait eu la désagréable surprise de trouver sur la porte de son logis des signes cabalistiques tracés avec du sang, avant d’y découvrir un peu plus tard des aiguilles plantées de façon à reproduire la forme d’un cercueil. Ces marques étant le signe d’un envoûtement très puissant, il se savait condamné à court terme, connaissant même avec précision le jour de son décès (le 25 octobre 1916) au matin duquel il rendit une dernière visite à Madame Fraya pour lui faire ses adieux. Bouleversée, la voyante ne put lui enlever cette funeste idée de la tête et, quelques heures après, Papus rendait l’âme en grimpant les escaliers de l’hôpital de la Charité. Officiellement, son décès avait été provoqué par une forme sévère de tuberculose, attrapée sur le front où il s’était porté volontaire en dépit de son âge avancé. Seulement, connaissant l’attaque occulte dont il avait fait l’objet, Madame Fraya acquit la certitude que la tuberculose n’était pas l’unique responsable de son décès : « Seules des créatures vraiment démoniaques pouvaient réussir de telles pratiques. Pour ma part, je n’en voyais qu’une : Mata Hari. Elle avait pu apprendre que Papus s’était procuré une photo d’elle. L’a t-elle cru capable d’utiliser son effigie pour se livrer à des pratiques destinées à neutraliser ses « mauvaises forces » ? A t-elle eu vent de l’enquête menée par lui auprès du peintre Guillonnet ? Lui avait-on répété les propos inquiétants que Papus tint à son sujet ? Je le pense. Et je crois fermement que cette diablesse s’était livrée contre lui à des pratiques de magie noire rapportées des Indes néerlandaises où, disait-on, elle aurait fait partie d’une dangereuse secte. » En effet, avant de devenir Mata Hari, Margareth- Gertrude Zelle avait épousé, à l’âge de 18 ans, un officier de marine (Rudolph MacLeod) qui l’emmena vivre avec lui dans les Indes néerlandaises. Et une femme comme elle – soupçonnée d’avoir essayé de tuer ses propres enfants que l’on retrouva tous les deux empoisonnés le 27 juin 1899 – était bien capable d’user de la magie la plus noire pour se débarrasser de l’homme qui l’avait percée à jour.

D’une manière beaucoup plus indirecte, Madame Fraya allait être impliquée dans la destinée d’un autre démon à figure humaine… La voyante, qui était aussi une fervente catholique, avait pour habitude de ne jamais donner de consultation le dimanche. Toutefois, à la demande d’un ami Lord, elle accepta, en ce début de l’année 1914, de faire une entorse à la règle pour recevoir un prince russe nommé Félix Youssoupoff. Quand ce dernier rentra dans son cabinet, Madame Fraya fut tout d’abord frappée (autant que sa fille qui était allé l’accueillir) par la beauté de son visage rappelant celui d’un ange. Mais dès qu’elle examina l’intérieur de ses mains, un sentiment d’effroi la saisit. Pressée de questions par l’homme qui s’était aperçu de son trouble, elle lui fit cette étonnante prédiction : « Vous assassinerez quelqu’un avec vos mains et vous aurez l’impression de commettre une bonne action. » La première réaction du prince fut de penser qu’il allait tuer un ennemi en temps de guerre, tant il ne pouvait s’imaginer commettre un acte pareil dans d’autres circonstances. Malheureusement pour lui, elle le détrompa en ajoutant : « Non, ce ne sera pas à la guerre. Ce sera l’un de vos compatriotes que vous assassinerez. » Incapable de lui en dire davantage, Madame Fraya demeura aussi perplexe que Youssoupoff qu’elle ne reverra que quatre ans plus tard, au moment où le prince revint frapper à sa porte pour lui narrer en personne les détails du crime qu’il avait bel et bien commis. Cela s’était passé dans la nuit du 16 au 17 décembre 1916. Faisant partie des conjurés qui s’étaient promis d’éliminer Raspoutine, le sort l’avait désigné pour administrer le coup fatal à celui que l’on surnommait « le débauché ». La présence du paysan sibérien (qui se donnait faussement le titre de moine) à la cour de Russie avait valu à Raspoutine de s’attirer la haine d’une grande partie des aristocrates, lesquels craignaient – à juste titre – que son influence néfaste n’entraînât la chute des Romanov. Protégé et adulé par la tsarine Alexandra qui faisait appel à ses dons de guérisseur pour soulager le tsarevitch souffrant d’hémophilie, Raspoutine osait tout se permettre, y compris de prendre des décisions d’état à la place de Nicolas II. Cette situation ne pouvant plus durer, Youssoupoff et ses compagnons prirent donc la décision de l’attirer dans un piège, en le conviant à un festin auquel il se rendit d’autant plus volontiers qu’il espérait y trouver l’épouse de Youssoupoff (Irina Alexandrovna) considérée comme l’une des plus belles princesses d’Europe. Et tout le monde connaissait l’intérêt que Raspoutine, s’adonnant plus souvent aux orgies qu’à la prière, portait aux femmes ! On disait aussi qu’il possédait le don de voir l’avenir. Pourtant, ce soir- là, il ne se douta pas un seul instant de ce que lui réservait son nouvel « ami ». Constatant avec effarement que le poison n’avait pas le moindre effet sur lui, Youssoupoff résolut de tirer à bout portant sur Raspoutine qui, atteint en plein cœur, s’ écroula. Persuadé de l’avoir tué, le prince rejoignit ses complices cachés dans une autre pièce. Seulement, lorsqu’il retourna auprès du cadavre, celui-ci reprit vie pour lui sauter à la gorge ! Il s’ensuivit une terrible lutte, et il confiera plus tard à Madame Fraya : « C’est à ce moment-là que votre prédiction m’est revenue à l’esprit. Alors, saisi d’un accès de folie, j’ai griffé Raspoutine au visage. A toute volée, comme si j’étais en état second, je l’ai lacéré de griffures… » Trouvant le moyen d’échapper à Youssoupoff, Raspoutine réussit à gagner l’extérieur où il fut rattrapé par les autres conjurés. Seul contre tous, le faux moine succombera finalement à leurs coups de matraque et de revolver ; du moins, le crurent-ils. Car, suivant les résultats de l’autopsie pratiquée sur son corps repêché le 19 décembre dans la Neva, Raspoutine était encore vivant quand il fut jeté à l’eau… Six ans après la mort de Madame Fraya, un incroyable concours de circonstances permit à Simone de Tervagne de retrouver la trace du prince Youssopoff, ce dernier lui ayant écrit une lettre sans savoir qu’elle le recherchait depuis plusieurs années ! Invitée à se rendre à son domicile parisien, le 14 décembre 1960, la journaliste comptait bien profiter de cette occasion inespérée pour recueillir SA version de l’histoire. Non seulement Youssopoff confirma en tous points le témoignage de Madame Fraya, mais il tint à montrer à Simone quelque chose d’extrêmement personnel, comme elle le rapportera dans son ouvrage intitulé Une voyante à l’Elysée : « Il m’entraîna dans une pièce étroite, sorte de salle à

manger, où une longue table, avec des sièges de chaque côté, prenait toute la place. Aux murs se trouvaient une vingtaine de dessins, soigneusement encadrés. Tous représentaient d’effroyables têtes plus sataniques les unes que les autres : masques grimaçants à la bouche monstrueuse, faces grises, vertes ou bleues, tons cadavériques, regards haineux, menaçants. Seul, un drôle de petit visage tout rond, peint en bleu, avec des yeux verts, jetait une note humoristique. Mais une force étrangement maléfique se dégageait des autres. » Le prince Youssoupoff lui expliqua que l’auteur de ces dessins n’était autre que lui-même. Il les avait exécutés vingt-sept ans auparavant, plongé dans une espèce de transe, et aux dires de ses amis peintres, il était impossible qu’un « amateur » puisse réaliser des dessins d’une telle perfection. Puis, de retour au salon, Youssoupoff extirpa lentement d’un tiroir le dernier de ses dessins, celui qu’il ne laissait voir qu’à très peu de gens parce que – selon lui – il représentait le Diable. Et c’est en le voyant que Simone comprit quel était le démon qui n’avait jamais cessé de hanter le prince : « Une face verte. Des chicots couleur de feu. De petits yeux sataniques rapprochés l’un de l’autre et qui louchaient avec une sorte de haine féroce. Un nez ressemblant à un phallus. Une barbe faite de flammes. Sur la figure, de profondes zébrures rouges, pareilles aux griffures dont il avait marqué le visage de Raspoutine, en pensant à la prédiction de Madame Fraya ! Je compris : cette étonnante composition, d’où il se dégageait une intense force démoniaque, était, plus ou moins transposé, le portrait du moine maudit. »

Madame Fraya affirmait que les mains des assassins – et l’exemple de Youssoupoff ne fut, hélas, pas le seul qu’elle ait rencontré au cours de sa carrière – étaient « marquées » par un signe infaillible, celui d’une croix positionnée sous le médius (une information qu’utilisera plus tard Sacha Guitry pour conclure le dernier acte de sa pièce Geneviève). A l’en croire, les personnes destinées à être les victimes d’un meurtre présenteraient, elles-aussi, une marque particulière. Et à partir de 1913, elle ne cessait de voir cette marque chez les jeunes hommes qui allaient bientôt partir à la guerre. De même qu’elle l’avait vue dans les mains d’un illustre personnage ayant, par le plus grand des hasards, croisé sa route… C’était à Vichy, par une belle soirée du mois de juillet 1910. Tandis qu’elle se promenait sans véritable but, Madame Fraya eut la surprise de se retrouver face à face avec Jean Jaurès qui la reconnut immédiatement : « Dès qu’il me vit, le célèbre tribun vint à moi. De but en blanc, il me parla de « chiromancie », car cela le passionnait. De même que toutes les formes de prémonitions, d’intuitions, de pressentiments. Précédemment, il m’avait fort surprise en me révélant qu’il lui arrivait de « voir », à l’avance, certains événements précis de son propre avenir ! Ce soir-là, je sentais qu’il était obsédé par une idée qui ne le quittait pas. En pleine rue, à brûle- pourpoint, il me demande de lui lire dans la main… « Je ne veux pas savoir quand je mourrai, mais comment je mourrai », me dit-il. Comme la nuit tombait, je lui proposai de marcher jusqu’au plus proche réverbère. Et là, il me tendit ses mains… J’y vis nettement le signe d’une mort violente, mais je n’osais le lui dire. » Sur l’insistance de Jaurès qui ne manqua pas de remarquer son trouble, la voyante lui avoua qu’il mourrait d’une mort violente. Mais avant qu’elle n’ait eu le temps d’ajouter quoi que ce soit, il l’interrompit pour lui dire ces mots surprenants : « Et moi, je vais achever votre prédiction… ce sera la veille d’une déclaration de guerre… » Or, la guerre sera déclarée le 1er août 1914, soit le lendemain de l’assassinat de Jean Jaurès par un étudiant nationaliste (Raoul Villain) qui se verra acquitté de son crime en 1919, alors que la veuve de Jaurès sera condamnée à payer les frais du procès ! En apprenant ce verdict inique, gageons que Madame Fraya dut ressentir un immense sentiment de tristesse et de révolte. Comme lorsqu’elle reçut, quelques décennies plus tard, un drôle de client dont la consultation l’avait bouleversée, ainsi que put le constater Simone de Tervagne qui recueillit « à chaud » les confidences de Madame Fraya : « Je viens de recevoir un être diabolique. Rien qu’au malaise que j’éprouvai à son entrée dans mon

salon, j’ai su qu’il s’agissait d’un criminel. C’était un châtelain qui venait de « capter » l’héritage de sa sœur aînée, avec laquelle il vivait en Afrique noire. Il l’avait empoisonnée avec la complicité d’un sorcier africain. Lorsque je l’eus percé à jour, il eut le cynisme de me dire sur un ton de supérieure ironie : « Puisque vous êtes si sûre de ce que vous avancez, qu’attendez-vous pour me faire arrêter ? « Mais, hélas, que pouvais-je faire ? Quelle preuve matérielle avais-je ? Vous n’ignorez pas que les peuplades noires de l’Afrique centrale possèdent la formule de poisons qui tuent sans laisser de traces. Et puis, ne suis-je pas tenue au secret professionnel ? Je n’ai pu que lui montrer la porte. Et savez- vous ce qu’il a eu l’audace de me dire, avant de partir ? « Chapeau bas, madame, vous êtes très forte. Vous êtes la voyante la plus extraordinaire que j’aie rencontrée… » En fait, pendant plus de soixante ans, la curieuse profession de Madame Fraya l’amènera à rencontrer toutes sortes de personnes, y compris la propre sœur de Guillaume II ! Une amie de la voyante ayant fortement insisté pour qu’elle la reçoive un dimanche, celle-ci vint la consulter au printemps 1914 dans le plus parfait anonymat. A son arrivée, la visiteuse prit soin de ne prononcer aucune parole pour se contenter de saluer Madame Fraya d’un signe de la tête et, une fois dans son cabinet, lui tendit un papier portant une écriture dépourvue de signature. Bien que les mots aient été rédigés en français, elle devina immédiatement qu’ils avaient été écrits par un étranger remplissant de très hautes fonctions, mais qui était également sujet à de violents « coups de têtes ». Et lorsqu’elle examina les mains de la femme murée dans son silence, Madame Fraya lui dit sans ambages : « Il existe un lien de parenté entre vous et l’auteur de cette écriture. Cet homme – qui n’est pas votre mari – sera la cause de votre ruine. Le danger vous menace tous, vous et vos enfants… Vous devrez, un jour, quitter votre pays. Le mot « exil » vous environne… » Offusquée, la consultante sortit de son silence pour protester : « Madame, ce que vous venez de dire est absurde, ridicule, insensé. Ma famille occupe une situation qui ne peut s’effondrer. Vous ignorez qui je suis. Je vais donc vous l’apprendre : je suis la princesse de Saxe-Meiningen et cette écriture est celle de mon frère, l’empereur Guillaume II. » Nullement impressionnée par cet aveu, la voyante répondit calmement : « Je maintiens, madame, tout ce que je viens de vous dire. Je ne me suis pas trompée. Bientôt votre frère déclarera la guerre à l’Europe. Il y perdra sa puissance, car il sera vaincu… » Tout en continuant à prétendre que c’était impossible, la princesse fut assez déconcertée pour se radoucir, allant même jusqu’à proposer à Madame Fraya de participer à une croisière qu’elle et son frère projetaient de faire au mois de septembre. Mais la voyante déclina poliment l’invitation sous prétexte qu’à ce moment-là, l’Europe serait déjà en guerre, et que l’empereur d’Allemagne n’aurait plus du tout la liberté de partir en croisière…

La sœur de Guillaume II n’avait ni l’envie, ni les moyens, de faire le moindre tort à Madame Fraya qui n’avait pris que le risque de la froisser. Tandis que trente ans plus tard, au cours d’une autre guerre, sa sincérité aurait pu lui coûter la vie. Pourtant, elle savait très bien que l’homme qui lui tendait ses mains (amené par sa fiancée soucieuse de leur avenir amoureux) pouvait s’avérer extrêmement dangereux. La froideur de son regard, et son empressement à connaître le jour où l’Allemagne serait victorieuse, ne laissaient aucun doute là-dessus. Néanmoins, avec un courage frisant l’inconscience, elle brisa ses espoirs en lui annonçant que l’Allemagne allait bientôt subir la pire de toutes ses défaites. Et la réaction de l’homme ne se fit pas attendre, comme s’en souvint Madame Fraya qui revécut la scène devant son amie Simone : « Jamais je n’ai vu un homme se mettre dans une telle colère… Une « colère blanche », la plus terrible… Son visage était devenu livide… Il s’est dressé, au comble de l’indignation. Il a levé la main… J’ai cru qu’il allait me frapper… Sa maîtresse, réellement angoissée par la tournure que prenait la « consultation », réussit à l’entraîner rapidement au-dehors, non sans me jeter un regard absolument affolé. » Avant ce départ précipité, Madame Fraya eut également le temps de lui prédire qu’il allait frôler la

mort, pour se voir ensuite contraint de quitter la France dans la plus grande hâte. La suite de l’histoire, elle ne l’apprendra qu’après la libération, le jour où l’infortunée « fiancée » reviendra dans son cabinet pour la lui conter : « Vous ne pouvez pas savoir combien j’ai tremblé pour vous ! L’homme que je vous avais amené, en mars 1944, était l’un des principaux chefs de la Gestapo… Il était tellement furieux que vous ayez osé lui prédire la défaite allemande qu’il voulait vous faire arrêter. L’ordre écrit se trouvait même sur son bureau. Il ne manquait plus que sa signature. Heureusement pour vous, il n’eut pas le temps de l’apposer, car il fut victime d’un grave accident d’auto. Grièvement blessé sur la route glissante en revenant de Rennes, il fut transporté dans un hôpital. Lorsque le débarquement de Normandie eut lieu, on l’évacua précipitamment en Allemagne, ainsi que vous l’aviez prévu. Je n’ai plus jamais entendu parler de lui. » C’est ainsi que Madame Fraya put échapper aux griffes de la Gestapo, grâce à un accident providentiel qui nous permet de penser que le Mal n’est pas toujours le plus fort, même si l’augure de la rue d’Edimbourg (comme la surnommait affectueusement George Clemenceau) craignait de voir le nazisme ressurgir dans le futur. Au soir de sa vie, celle qui avait connu tant de secrets et examiné près de 600 000 mains voulut aussi nous mettre en garde contre d’autres fléaux : « Dans les années à venir, si l’élite mondiale ne s’élève pas contre ces véritables attentats, toutes sortes de « cancers », de « leucémies », n’ayant d’autre origine que la pollution atmosphérique, sans parler de certaines eaux dites « potables », chargées de radio-activité, atteindront les humains de tous âges et de toutes conditions… La prolifération des véhicules obligera les dirigeants à prendre des mesures draconiennes, une sorte de limitation des véhicules, afin d’éviter l’asphyxie quasi totale des grandes villes. La surpopulation du globe posera de graves problèmes aux chefs d’Etat. En fin de compte, à cause d’elle, le monde courra à sa perte. Car, en dépit des maladies nouvelles que je pressens, le taux de mortalité sera moins élevé que celui des naissances. Ce qui compromettra l’équilibre du monde. » Et force est de constater qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, ses visions se sont en tous points réalisées… Cependant, elle vit aussi que des savants français arriveraient à percer les secrets de la vie et de la mort, et qu’« il nous sera donné d’assister à des phénomènes extraordinaires auxquels, d’ailleurs, on s’accoutumera très vite ». Elle-même avait dû s’habituer à voir des choses surprenantes, bien qu’elle attendit d’être parvenue au terme de son existence pour en parler ouvertement : « Quoique je sois contre le spiritisme parce qu’il nous met en contact avec le monde invisible que nous ne connaissons pas, je dois avouer que, bien souvent, j’ai eu, sans les solliciter, des manifestations de décédés… Je crois que la mort réside dans la destruction du corps matériel, mais que notre âme n’est pas atteinte par elle… Je crois en la survie… Je crois aussi que notre passage terrestre a pour but notre évolution, notre perfectionnement grâce à des expériences personnelles. Quant à notre destin, je ne pense pas qu’on puisse le changer, tout au moins dans les lignes générales… Je crois que les événements marquants de la vie de chacun se préparent dans l’invisible et qu’ils sont inscrits d’avance, au moment de notre naissance. » Comme il était sûrement écrit que Madame Fraya devait faire la connaissance de Simone de Tervagne, précisément au moment où il lui fallait trouver une confidente pour sauver de l’oubli tous ses précieux souvenirs. D’ailleurs, n’est-ce pas une succession de « coïncidences » qui a conduit la journaliste jusqu’à Madame Fraya, l’une et l’autre ayant immédiatement éprouvé ce que la voyante appelait le « coup de foudre de l’amitié » ? Et si cela avait été davantage encore que de l’amitié ? C’est ce que semblait penser Simone de Tervagne qui, sur le ton de la confidence, nous décrit sa rencontre avec Madame Fraya : « J’étais très impressionnée et, en même temps, attirée vers elle par un sentiment de tendresse quasi filiale. Il me semblait que nous nous connaissions déjà, que je me trouvais devant une aïeule très chère. » Et si l’intuition de la journaliste ne l’avait pas trompée ? Et si ces deux femmes s’étaient connues dans une vie antérieure, leur faisant ainsi

ressentir cette joie propre aux retrouvailles ? En tout cas, nul mieux que Simone de Tervagne n’aura oeuvré pour perpétuer la mémoire de la plus exceptionnelle des voyantes qui, sachant son départ imminent, fit une dernière requête à son amie Simone : « Dites bien que je n’ai jamais formé d’élèves, que mon don est intransmissible. » Alors, que ceux et celles qui auront l’audace de se réclamer de Madame Fraya fassent la preuve indiscutable de leurs talents – tout comme elle l’a fait des milliers de fois – ou se taisent à jamais…

Magali Cazottes

Bibliographie :

– « Une voyante à l’Élysée » de Simone de Tervagne, éditions Garancière.

– « L’au-delà mène l’enquête – Le testament de Mme Fraya » de Simone de Tervagne, éditions Garancière.

– « Le collier magique » de Simone de Tervagne, éditions du Rocher.
– « Le livre d’or de la voyance » de Simone de Tervagne, éditions Garancière.
– « Comment on lit dans la main » de Papus (Dr Gérard Encausse), éditions Dangles.

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