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CAMILLE CLAUDEL ET RODIN : un fol attachement

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Camille Claudel (1864-1943) et Rodin (1840-1917)

Un fol attachement si destructeur.

Camille naît en province en 1864. Elle est l’aînée d’enfants d’une famille bourgeoise. Son frère Paul, plus jeune qu’elle de quatre ans, deviendra l’écrivain qu’on connaît.

Camille, à 17 ans, sait déjà qu’elle veut être sculpteur. À 18 ans, elle monte à Paris tenter sa chance d’artiste et suit les cours de l’Académie Colarossi, les Beaux-Arts n’étant évidemment pas encore accessibles aux femmes.(Il faudra attendre 1889 pour qu’il y existe un département féminin et 1903 pour que les candidates puissent concourir au prix de Rome)

 

Elle rencontre le sculpteur Alfred Boucher qui l’encourage vivement à créer son atelier rue Notre-Dame des Champs. En 1883, Camille a 19 ans et le destin la conduit sur le chemin d’Auguste Rodin, de vingt-quatre ans son âiné. Elle est son élève, son inspiratrice, son modèle, sa confidente puis devient très vite sa maîtresse. C’est le début d’une très longue passion qui va conditioner la vie de Camille.

 

Retour sur les faits

Rodin n’est pas célibataire: il vit avec Rose Beuret.

Rodin et Camille passent de nombreuses heures ensemble à travailler à la réalisation des “Portes de l’enfer”; elle-même a déjà realisé des bustes sous l’influence naturaliste et expressionniste de Rodin, avec une touche classique et historique très personnelle: “la Vieille hélène” en 1882, “Paul en jeune romain” en 1884.

Durant dix ans, tous deux conjuguent avec harmonie, passion et créativité, s’auto-influençant et se complétant dans une synergie très efficace. En 1893 pourtant, les rapports commencent à se dégrader. Camille a 29 ans.

Rose est toujours dans la vie de son amant. Camille demande à Rodin de se séparer de cette femme et de l’épouser elle, puisque leur amour est complet, mais Rodin ne l’entend pas de cette façon. S’il est évident qu’un lien très fort les unit, le talent de Camille finalement s”assimile tellement à celui de Rodin qu’il le sert.

Depuis quelques temps déjà, Camille constate en effet que Rodin ne se gêne pas pour insinuer le doute autour de lui sur la propriété réelle des oeuvres de Camille.. Rodin par opportunisme en effet s’approprie trop facilement les créations pures de son élève, et l’artiste feminine le vit comme une violation d’un territoire trop personnel. Grisé par les commandes officielles et la notoriété explosive, Rodin ne s’aperçoit pas tout de suite que sa muse s’éloigne de lui, préférant transformer son appartement en atelier plutôt que cohabiter avec un vampire créatif. Même si cet éloignement en coûte terriblement à Camille, puisqu’elle en deviendra folle, il est le prix de sa liberté de création.

 

Un peu comme s’il fallait qu’elle en passe par là pour laisser mûrir son véritable talent, Camille fait évoluer insensiblement ses oeuvres vers des compositions faites d’après nature comme “les Causeuse” ou “Clotho”. Sa relation à Rodin la conduit à la réalisation d’une oeuvre magistrale, “l’Âge mûr” et s’apprête à réaliser en plusieurs versions (plâtre puis marbre ou bronze) toute une série de chefs d’oeuvres tous plus puissants les uns que les autres:  » La Petite Châtelaine » en 1896, l' »Hamadryade » et « La Vague » en 1897, « La Profonde Pensée », « Le Rêve au coin du feu » en 1899,  » La Fortune  » en 1900, « L’Ecume » en 1901,  » La joueuse de flûte » en 1904,  » La Valse »,  » L’Abandon » en 1905. Toutes présentent une force épique et tragique, et sont l’expression d’une parfaite maîtrise de la technique et du détail, ce qui ne s’observe pas paticulièrement chez Rodin finalement fort classique dans son art.

 

Telle l’expression d’un déchirement intérieur de l’artiste, les oeuvres de Camille se distinguent de celles de Rodin par une conception assymétrique et déséquilibrée de l’oeuvre, ainsi que les matériaux qu’elle emploie.(marbre, onyx)

“Les baigneuses” saisissent l’influence asiatique du moment; elles feront dire à Camille devant son frère Paul “Tu vois que ce n’est plus du tout du Rodin”…

De plus en plus délaissée par son maître, Camille sombre dans une solitude qui l’éloigne de son entourage. Elle ira jusqu’à une partie de ses dernières oeuvres ainsi que sa correspondance .

 

En proie à un délire de persécution très prononcé, et une extreme pauvreté, Camille passera une grande partie de sa vie à l’asile et y décédera en 1943.

 

Nous voici en plein dan le thème de notre dossier psychologique lié à l’attachement.

À trop vouloir fusionner artistiquement, le créatif peut y perdre son âme en s’éloignant de lui-même. La passion ravageuse de ce couple, quand bien même dépasserait le cadre amoureux en s’insinuant dans le domaine de la créativité, illustre à merveille les dérives potentielles de la passion.

Camille était une artiste hors du commun que la société et le contexte de l’époque n’a pas su reconnaître à sa juste valeur. Il est amer de constater qu’elle n’aura eu droit qu’à une reconnaissance posthume, quand on sait la force de ses pièces. Mais elle se sera nourrie aussi de l’écho fait à son art par Rodin. Sans lui, elle ne serait peut-être jamais véritablement née à elle-même artistiquement. Sans fusion, il n’y aurait ensuite jamais eu scission ni expression libre de ce qu’elle est véritablement. Si elle avait à vie accepté de rester l’élève docile qu’il voulait qu’elle soit, l’histoire aurait cantonné Camille dans un petit rôle de faire-valoir.

 

En brisant les liens de l’attachement, elle a remis en cause des sentiments fondamentaux, mais au moins ne s’est pas reniée: leur rupture l’a conduite à la crééation de la sculpture “l’Âge mûr” qui porte si bien son nom quand on sait la maturité que suppose la décision de rompre avec l’aliénation.

 

Camille et Auguste? Un attachement par trop ravageur et destructeur qu’un instinct de survie devait briser…

KARINE TUZET

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